Interview d’Albert Jacquard

Interview publiée dans le journal L’Aberration, édité par le Réseau « Sortir du nucléaire » en 2001 :

Pourquoi faut-il vraiment sortir du nucléaire ?
Il faut abandonner le nucléaire en raison de la nature même de cette énergie. Notre organisme sait nous prévenir de la plupart des dangers, pas de la radioactivité. Elle n’est pas détectable par l’organisme humain ! Nous ne sommes ni prévenus, ni immunisés. Si vous manipulez des substances radioactives, vous ne sentez rien. Pourtant, ça brûle. Marie Curie en a fait la cruelle expérience. Elle manipulait du radium à pleines mains et pourtant, elle ne sentait rien. Face à un tel danger des rayonnements, si nouveau, si pervers, seul un effort intellectuel permet de se prémunir. Pourtant, j’admire l’exploit technique que représente une centrale nucléaire. Mais il faut d’abord se poser la question de savoir à quoi tout cela sert. Le nucléaire, c’est un cadeau plus qu’empoisonné. Avec des déchets qu’on veut enfouir dans le sous-sol comme on glisse la poussière sous le tapis, mais pour un million d’années ! Tout ça pour avoir un peu plus d’éclairage dans nos villes ou le long des autoroutes belges.

Que préconisez-vous ?
Le vrai problème, c’est le gaspillage. Nous avons besoin de l’énergie mais elle doit être utilisée au mieux. Il faut s’interroger en permanence sur la finalité de l’énergie. Lorsqu’une expérience est faite, individuellement, tout va bien. Mais la finalité est perverse. C’est vrai du clonage comme du nucléaire. Je plaide pour une société qui se pose la question de la finalité de ses choix. Or, on ne s’interroge jamais sur la finalité de l’énergie pas plus qu’on ne pose la question de la bombe atomique. Prenez le cas de la bombe française, qui est censée nous mettre à l’abri. Elle est inutile et néfaste. L’utiliser ? C’est le suicide à coup sûr… C’est un non sens. Qu’il s’agisse du nucléaire civil ou du nucléaire militaire, les conséquences sont les mêmes : on est en train d’organiser le suicide à long terme de l’humanité. Sans que, jamais, on nous ait demandé notre avis. C’est tellement plus efficace quand on ne demande rien à personne ! Il existe une responsabilité collective de ceux qui ont décidé d’imposer ce mode d’énergie. Le XXe siècle a connu bien des révolutions conceptuelles. Chaque fois que la science fait un progrès considérables, cela a des conséquences sociales. Le XXIe siècle connaîtra des révolutions sociales provoquées par les révolutions conceptuelles du siècle précédent. Mais, il s’agira de révolutions douces visant à transformer les rapports sociaux, d’abord par la mondialisation de l’éducation puis par celle de la démocratie. Il faut repenser la démocratie mondialisée. »